jeudi 28 février 2013

Jeudi 28 : se débarrasser de février



Mois haï, mois honni entre tous, du plus loin que je me souvienne. Il paraît que c’est le plus court ? Pour moi il est interminable. Pendant longtemps, mon seul souci au cœur de l’hiver fut de me débarrasser du mois de février

J’ai essayé pas mal de stratégies qui se sont toutes soldées par un échec. Et puis en 2013 j’ai fait le pari saugrenu de m’installer en Roumanie pile pendant cette période creuse, en plein milieu de l’hiver. Pari réussi. Je ne peux pas dire que tout a été un jeu d’enfant, mais j’ai échappé à la morosité. 

L’idée même de répétition me donne la nausée. Je suis une handicapée du quotidien, je ne supporte pas que les jours se suivent et se ressemblent. J’ai eu une longue discussion à ce propos avec mon père, un soir, autour d’un plat et d’une carafe de vin. « Tu es bien peu philosophe, en ce sens », a dit le papa, et c’était vrai, mais il fait bon ne pas être philosophe à Iasi. Tout est si nouveau que le moindre voyage en bus me semble une épopée.

On m’avait dit : tu verras, ça va passer tellement vite ! Eh bien pas du tout. Ici j’ai conscience de chaque heure, de chaque minute, j’éprouve le temps de façon plus aiguë.  Quand quelqu’un me quitte en laçant « à la semaine prochaine », je pense : la semaine prochaine ! mais c’est dans une éternité !
 
Je ne suis pas une inconditionnelle des bilans, mais si février s’en va, je peux bien lui rendre hommage avec un tour d’horizon des découvertes depuis mon arrivée.


  • Côté pratique : j’ai appris que le feu ça brûle, et que l’huile d’argousier accélère la cicatrisation (l’effet est surprenant).
  • Côté poétique : j’ai appris qu’un vers semble souvent plus intense dans une langue étrangère (mais je le savais déjà un peu, à cause de l’italien).
  • Côté musique : j’ai goûté aux joies du violon et des chansons tsiganes.
  • Côté alcoolique : j’ai appris à boire la bière par doses de 50 cl (bien obligée). Un ‘demi’, ici, c’est un demi-litre.
  • Côté physique : je ne me fais pas trop mal aux températures locales. Mais il faut dire que cet hiver est franchement doux par rapport aux moyennes saisonnières.
  • Côté domestique : j’ai appris à me contenter du nécessaire (mais ma définition du nécessaire est contestable : un bureau, un lit, une bouilloire, quelques chaussettes dépareillées).
  • Côté mystique : pas de révélation à ce jour. Mais je me rends compte que l’athéisme, qui est monnaie courante en France, est une posture difficilement acceptée ici. « Enfin, tu crois bien en quelque chose ? »
    (Mihai s’est carrément vexé quand j’ai refusé d’embrasser une icône mariale : « C’est le même Dieu que le tiens, m’a-t-il dit sur le ton du tu-vas-quand-même-pas-faire-de-chichis.
    - Je n’ai pas de dieu, j’ai répondu.
    - Ce n’est pas possible. Qui est-ce qui t’aide quand tu ne vas pas bien ? »
    J’aurais volontiers dit « mon papa », mais il n’aurait sûrement pas saisi l’humour ou ne l’aurait pas apprécié. D’ailleurs je ne sais pas trop de quel œil on voit la psychanalyse ici.)

    Bref, un bilan positif, surtout si on prend en compte tout ce que je n’ai pas appris mais simplement savouré : une rencontre, un concert, un verre de vin roumain.

    Tout de même, je ne suis pas mécontente de voir arriver mars avec toutes ses promesses : des excursions, quelques rayons de soleil et un petit séjour en France (colloque et Caribou obligent).

Lectures roumaines



Avant de débarquer à Iasi dans mon manteau en plumes de canard, j’avais une idée très vague de la Roumanie. C’est un pays qui m’attirait, bien sûr, mais je crois que je le fantasmais plus qu’autre chose. Mes connaissances se résumaient à quelques lectures – une brève histoire de l’Europe de l’Est après la première guerre mondiale, un ou deux contes traditionnels, un manuel de conversation à l’humour douteux.

Deux choses m’ont tout de même aidée à dessiner les contours du pays :


* le blog de Ciboolette, qui vit à Bucarest et qui travaille de la cafetière

* un roman de Liliana Lazar qui a pour titre Terre des affranchis.




L’histoire se passe dans le petit village de Slobozia, sous le régime de Ceausescu. Je me garderai bien de raconter l’intrigue, parce qu’elle mérite d’être découverte au fil de la lecture. Mais la grande force du roman est de rendre l’atmosphère si étrange qui régnait dans ces lieux : les légendes les plus anciennes côtoient les rumeurs politiques, l’Église orthodoxe doit pactiser avec le régime communiste (...qui doit pactiser avec l’Église orthodoxe). Il revient à chacun de composer avec ce syncrétisme, de trouver son chemin dans cet assemblage bancal de croyances, de peurs et de désirs. 

Le lac cristallise toutes les tensions – c’est un lieu maudit, où les envahisseurs turcs se seraient noyés, mais c’est aussi le rendez-vous des amoureux, et l’endroit idéal pour échapper aux regards.

Le livre est écrit en français, mais Liliana Lazar a grandi en Moldavie, et elle est en toujours imprégnée. Et puisque je préfère ranger les livres par affinités (plutôt que par ordre alphabétique !), si celui-ci devait s’installer dans ma bibliothèque, il trouverait une place tout près du Meunier hurlant, de Paasilinna.

L’oiseau



Mon nouveau surnom ici est pasărea (« l’oiseau »). Parce que mon manteau perd un peu partout ses plumes de canard. Il est chaud comme un bon duvet, mais on peut me suivre à la trace.