Mois haï, mois honni entre tous, du plus loin que je me
souvienne. Il paraît que c’est le plus court ? Pour moi il est
interminable. Pendant longtemps, mon seul souci au cœur de l’hiver fut de me
débarrasser du mois de février.
J’ai essayé pas mal de stratégies qui se sont toutes soldées par
un échec. Et puis en 2013 j’ai fait le pari saugrenu de m’installer en Roumanie
pile pendant cette période creuse, en plein milieu de l’hiver. Pari réussi. Je
ne peux pas dire que tout a été un jeu d’enfant, mais j’ai échappé à la
morosité.
L’idée même de répétition me donne la nausée. Je suis une
handicapée du quotidien, je ne supporte pas que les jours se suivent et se
ressemblent. J’ai eu une longue discussion à ce propos avec mon père, un soir,
autour d’un plat et d’une carafe de vin. « Tu es bien peu philosophe, en
ce sens », a dit le papa, et c’était vrai, mais il fait bon ne pas être
philosophe à Iasi. Tout est si nouveau que le moindre voyage en bus me semble
une épopée.
On m’avait dit : tu verras, ça va passer tellement vite !
Eh bien pas du tout. Ici j’ai conscience de chaque heure, de chaque minute, j’éprouve
le temps de façon plus aiguë. Quand
quelqu’un me quitte en laçant « à la semaine prochaine », je
pense : la semaine prochaine ! mais c’est dans une éternité !
Je ne suis pas une inconditionnelle des bilans, mais si février
s’en va, je peux bien lui rendre hommage avec un tour d’horizon des découvertes
depuis mon arrivée.
- Côté pratique : j’ai appris que le feu ça brûle, et que l’huile d’argousier accélère la cicatrisation (l’effet est surprenant).
- Côté poétique : j’ai appris qu’un vers semble souvent plus intense dans une langue étrangère (mais je le savais déjà un peu, à cause de l’italien).
- Côté musique : j’ai goûté aux joies du violon et des chansons tsiganes.
- Côté alcoolique : j’ai appris à boire la bière par doses de 50 cl (bien obligée). Un ‘demi’, ici, c’est un demi-litre.
- Côté physique : je ne me fais pas trop mal aux températures locales. Mais il faut dire que cet hiver est franchement doux par rapport aux moyennes saisonnières.
- Côté domestique : j’ai appris à me contenter du nécessaire (mais ma définition du nécessaire est contestable : un bureau, un lit, une bouilloire, quelques chaussettes dépareillées).
- Côté mystique : pas de révélation à ce jour. Mais je me
rends compte que l’athéisme, qui est monnaie courante en France, est une
posture difficilement acceptée ici. « Enfin, tu crois bien en quelque
chose ? »
(Mihai s’est carrément vexé quand j’ai refusé d’embrasser une icône mariale : « C’est le même Dieu que le tiens, m’a-t-il dit sur le ton du tu-vas-quand-même-pas-faire-de-chichis.
- Je n’ai pas de dieu, j’ai répondu.
- Ce n’est pas possible. Qui est-ce qui t’aide quand tu ne vas pas bien ? »J’aurais volontiers dit « mon papa », mais il n’aurait sûrement pas saisi l’humour ou ne l’aurait pas apprécié. D’ailleurs je ne sais pas trop de quel œil on voit la psychanalyse ici.)Bref, un bilan positif, surtout si on prend en compte tout ce que je n’ai pas appris mais simplement savouré : une rencontre, un concert, un verre de vin roumain.Tout de même, je ne suis pas mécontente de voir arriver mars avec toutes ses promesses : des excursions, quelques rayons de soleil et un petit séjour en France (colloque et Caribou obligent).