J’ai passé un après-midi à déambuler dans les rues de Iasi pour dégoter
des fringues dans les friperies. Ca fait longtemps que j’en avais envie, et
c’est devenu une quasi-nécessité depuis que la température est montée
subitement de 20°. J’étais bien équipée pour l’hiver, je le suis moins pour
l’été. Hé ho, on m’avait promis un printemps !
Une vague de chaleur s’est abattue sur la ville, l’air est lourd, et mis
à part les étudiants qui se sont mis à faire la fête sur un rythme effréné, les
gens ne sont pas plus agréables. Selon les jours, je sens les Roumains
hostiles, renfrognés, ou bien ouverts, chaleureux. Ce qui est sûr, c’est que
l’esprit à Iasi est plutôt au chacun pour
soi. Peut-être parce que les soucis financiers rongent le pays, parce que
les gens sont fatigués de cumuler les emplois pour vivre décemment. Mais aussi
parce que ce qui fait rêver, ce n’est pas de fonder une communauté éco-bio-bo
avec les copains. Il faut se faire une situation. Les jeunes ont le regard
tourné vers l’ouest : fuir, aller en Italie, aller en France, aux
États-Unis, n’importe où plutôt que le marasme roumain. Les autres générations
me semblent fatalistes, presque mélancoliques. Quand Angela me dit de sa voix
larmoyante « C’est bien, hein, ici, tu es d’accord ? », je sens
qu’elle n’est qu’à moitié convaincue. Il faut que je la rassure :
« Oui, j’aime beaucoup ce pays ». Et c’est vrai : je l’aime
beaucoup. Mais je le sens, comment dire, sur sa réserve. Quand d’un coup le
voile se lève, quand Iasi se décide à montrer ses secrets, c’est magique.
Le Petit Prince apprivoisait un renard, moi je tente les chiens errants.
Quand vous arrivez dans un nouveau quartier, ils ne vous connaissent pas et
vous aboient dessus comme si vous étiez le diable en personne. Au bout d’un
moment, ils vous tolèrent. Peut-être qu’ils finiront même par me faire la fête.
Mais j’ai perdu le fil, je parlais des fripes. Tant pis, ce sera pour un
autre jour.