dimanche 12 mai 2013

Jour 3 : de Tulcea à Crişan




Tulcea est grise et sombre quand nous nous réveillons. Cette ville n’est pas follement belle, mais elle a son charme. En s’attablant en face du fleuve, on peut suivre tout le trafic maritime. C’est à Tulcea que se séparent les trois bras du Danube : Chilia, Sulina et Sfântu Gheorghe. J’aime les ambiances portuaires : c’est plus fort que moi, je me sens à la maison. Il pleut un moment, et nous restons là immobiles, sur la terrasse couverte d’un bar. L’atmosphère est étrange, peut-être parce que nous sommes dimanche 5 mai, jour de Pâques pour les orthodoxes. À 13h, nous saluons nos amis français, qui sont venus nous dire au revoir, et nous embarquons sur le Moldova, un large bateau qui relie Tulcea à Sulina tous les jours de la semaine.



Le soleil fait une percée et nous partageons quelques bières avec deux Espagnols, Paco et Virginia. Ils sont tous les deux biologistes et se sont installés quelques mois dans les montagnes de Transylvanie, pour étudier les espèces menacées. D’après ce que je comprends, il s’agit d’un stage de fin d’études : nous devons avoir peu ou prou le même âge. Je crois me souvenir qu’ils viennent de Murcia : en tout cas, ils n’étaient pas habitués au grand froid et l’hiver dans les montagnes roumaines a été rude, d’autant plus qu’ils vivent dans des conditions spartiates. Ils nous racontent comment ils ont cru mourir une nuit, perdus dans une forêt ensevelie sous la neige. Eh bien ils ont creusé un trou, et ils ont attendu le petit jour. Je leur tire ma révérence. En mai, alors qu’il fait presque 30 degrés, on peine à imaginer ce que peut être l’hiver ici. Trois heures plus tard, nous nous séparons : Romain et moi débarquons à Crişan, Paco et Virginia vont jusqu’à Sulina.

Crişan : un village tout en longueur, qui s’étire sur la rive du fleuve. Une seule rue longue de 7 km. Et un accueil mémorable.



Nous arrivons à la pension Vasiliu, qui est tenue par un couple franco-roumain. Petre habite depuis toujours à Crişan, Caroline est française. Je leur ai envoyé un mail il y a quelques semaines pour réserver deux nuits en pension complète, en me disant : pourquoi pas. Mon petit doigt me dit que ça ne va pas déplaire au Caribou : un beau logis, un bon couvert, une excursion en barque.



Je suis immédiatement sous le charme des lieux. Caroline nous indique un chemin sur une digue : il faut passer derrière la maison, bien fermer le portail pour les vaches, suivre les lignes électriques.





Les paysages sont très beaux mais parfois surprenants : il y a quelque chose de post-apocalyptique dans ces blocs de béton esseulés. Nous nous engageons sur la digue et le Caribou me fait un petit état des lieux (déformation professionnelle, vous dis-je). Je comprends un tout petit peu mieux ce qui m’entoure. Parfois, il me pose une colle : et là, à quoi peut-on dire qu’il y a eu tassement de terrain ? Nous nous allongeons dans l’herbe pour profiter du concert d’oiseaux : incroyable, je n’ai jamais entendu autant d’espèces différentes chanter en chœur. 

À notre retour, chose complètement improbable, je retrouve Marie, rencontrée un soir dans un bar de Iasi. Marie habite à Cluj depuis trois ans, et finit cette année ses études d’interprétariat. Elle est de passage à Crişan avec ses parents, qui ont pris quelques jours de vacances en Roumanie. Après les ça alors, ah ben ça alors de rigueur en de pareilles circonstances (le monde est petit m’sieurs dames), nous passons aux choses sérieuses : le dîner. Il est bon – non, excellent – et s’accompagne volontiers de quelques verres de vin rouge. Les parents de Marie sont d’anciens médecins de MSF (je manque de bondir d’enthousiasme mais j’essaie de me tenir, ils doivent être lassés par ce genre d’effusions) et habitent en Ardèche. Je leur dis que je vais presque chaque année à Freyssenet, un hameau sur la commune de Labastide-sur-Bésorgues où Hervé tient un bistrot qui est plus qu’un bistrot. « Ah oui, je vois bien ! » dit le papa, qui est en fait maire d’un village du coin. Ca, c’est vraiment fort de café : parler de Lou Tarare et de castagnou (kir à la châtaigne) dans un village de pêcheurs roumain, c’est vraiment la dernière chose à laquelle je pouvais m’attendre.

 C’est étrange, mais quand je me surprends à rêver de la France, je ne pense pas à ma maison (laquelle au juste ?), je vois les tables en bois sombre du bistrot d’Hervé. Et autour d’une table Beppe, Nicole, Michel, Hervé, Mireille, la joyeuse bande réunie dans une conversation désordonnée.

La soirée se termine sur un verre de palincă. J’accompagne Marie qui fume une cigarette dehors et nous restons un long moment à discuter sous les étoiles. Il y a quelque chose qui me plaît beaucoup chez elle, et même si Romain refuse catégoriquement que j’adopte sa coupe de cheveux (très très courte), je me sens proche de ses idées, de ses choix. Disons que nous entrons plutôt bien en résonance. Le ciel étoilé et la palincă nous prêtent main forte : je me laisse prendre au jeu de cet unisson.


1 commentaire:

  1. Bonjour Quel plaisir de te lire j'ai retrouvé le Caribou bronzé et hyper détendu dansant dans le couloir !!
    Il va me montrer des photos !!
    Tant que y a pas de moustiques je suis partante !
    Ici temps froid et gris un peu pus froid qu'hier on atteint des sommets alors on ne croit plus au réchauffement climatique ! D’ailleurs y en aura pas en Picardie je te dis !!!
    Bise ma Belle et bon retour à Iasi
    Blanco

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