lundi 27 mai 2013

Sibylle sur les ondes



J’ai décidé que mon bébé-thèse n’était pas une bonne excuse pour m’enfermer dans une chambre et hiberner (mince, c’est le printemps, quoi). Je décide donc de me remettre en selle et de faire un retour fracassant dans mon cours de langue roumaine. Mais Claudia, notre professeur, n’est pas là aujourd’hui : voilà bien ma veine. Dans la pièce, nous sommes peut-être sept ou huit élèves. Nous nous regardons, hésitons un peu : chacun pourrait rentrer chez soi, mais un désir de discussion flotte dans l’air. Un désir, que dis-je : un brouillon de désir. Cela fait plusieurs mois que nous nous côtoyons, et nous nous connaissons à peine. La classe a évolué depuis que je suis arrivée. Il y a toujours les fidèles, Mohammed-le-Palestinien, Eva-la-Grecque, Era-la-Javanaise (eh oui). Et puis de nouvelles têtes, auxquelles je ne peux associer ni de prénoms, ni de pays. 

Era a un mal fou à apprendre le roumain. Je me suis longtemps demandée ce qui avait conduit une fille de Polynésie à s’installer ici. Aujourd’hui, j’ai la réponse. Un homme se lève et vient me serrer la main : « Je me présente, je suis Lucian, le mari d’Era, je suis journaliste à Iasi, je travaille pour la radio » (il parle français). Je comprends qu’il a rencontré Era lors d’un voyage en Indonésie : il a adopté là-bas la religion musulmane pour pouvoir l’épouser. En janvier dernier, ils sont venus s’installer à Iasi, la ville natale de Lucian. Il me raconte que ce déménagement a provoqué un désordre sans nom dans leur vie. « Era n’a toujours pas son visa, la justice roumaine a mis quatre mois à reconnaître le mariage, hier la police est passée pour vérifier que nous habitons bien ensemble. »

Il me demande qui je suis. Puis : « aaah ! vous vous intéressez au surréalisme roumain ! Eh bien j’ai moi-même fait un travail qui peut tout à fait vous passionner. Voyez-vous, j’ai moi-même appliqué le surréalisme à la vie quotidienne, oh pas longtemps, quelques mois, et j’ai écrit un livre sur cette expérience, c’est tout à fait nouveau, vous pouvez me trouver sur google ». Je ne sais pas si sa maîtrise hésitante du français est pour quelque chose dans l’extraordinaire cuistrerie du propos, mais c’est tout à fait délicieux. Je lui dis que je ne manquerai pas de mener moi-même des recherches sur son projet.

Il enchaîne brusquement : « pour l’interview, on sort de cette salle, d’accord ? ». Je ne dis pas « quelle interview ? », j’ai fini par comprendre qu’il était là pour récolter des témoignages d’étrangers installés à Iasi. Il branche son magnétophone, me pose quelques questions. Il ne faut pas jouer à ça avec moi, je suis intarissable. Tant mieux : il semble ravi d’avoir tant de matière. En me quittant il me dit : « j’en ferai une émission, j’ai une chronique hebdomadaire. On se reverra peut-être un jour ». Pas de « merci-je-vous-tiens-au-courant », mais après tout que m’importe ? J’ai donné ma première (et sans doute dernière) interview, c’est déjà en soi une petite aventure. Notre discussion m’intéresse plus que ce qu’il en fera (si c’est en roumain à la radio, je ne comprendrai de toute façon pas grand-chose). Et à moins de devenir auteur à succès, l’expérience ne se renouvellera pas de sitôt. Donc : l’expérience ne se renouvellera pas de sitôt.

[Mihai ne comprend pas comment on peut vouloir écrire des livres sans vouloir devenir célèbre. Est-ce moi qui suis hypocrite ? Peut-être que nous rêvons tou[te]s d’être invité[e]s chez Thierry Ardisson pour raconter comment on a pécho Doc Gynéco. Note pour plus tard : penser à pécho Doc Gynéco.]

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