Nous quittons presque à regret le monastère de Râşca. Un moine
nous montre la petite église (splendide) et me pose mille questions sur notre
voyage. Pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici ? Comment avons-nous entendu
parler de ce monastère ? N’avons-nous pas peur des accidents, des voleurs
et des grands méchants loups ? En m’écoutant, il semble mi-abasourdi,
mi-émerveillé. Surtout par l’histoire de Gaël, qui, c’est vrai, a de quoi
laisser pensif. Mais comment mange-t-il, depuis un an ? Je lui réponds
qu’il achète de-ci de-là, et reçoit parfois de la nourriture des gens qu’il
croise (je deviens un moment l’interprète de Gaël qui parle italien mais pas
roumain). Là, le frère semble avoir une illumination : il disparaît et
revient quelques minutes plus tard, chargé de pommes du verger. Si j’avais pris
tout ce qu’il voulait nous donner, je n’aurais plus été en mesure de soulever
mon sac.
La journée est grise, presque morose. Je n’ai pas envie que ce
périple s’arrête. J’irais comme cela jusqu’au bout du monde.
Nous passons par la petit ville de Fălticeni, où nous tombons
sur une horloge internationale qui ressemble fort à celle de Berlin (dixit Gaël, car je ne connais pas
Berlin).
C’est le moment d’acheter quelques victuailles et de nous poser dans
un bar pour boire un chocolat chaud et glaner quelques conseils. Un type nous
propose un chemin qui semble sympathique : en deux heures de marche, nous
devrions arriver dans un monastère de sœurs. À 17h, toujours sur la route,
nous sommes arrêtés par une voiture de police. Que faites-vous là ? J’explique du mieux que je peux, et ni
une ni deux les policiers nous proposent de faire demi-tour pour nous
accompagner jusqu’au monastère (qui est encore à 15 km !). Marché conclu.
Ils nous déposent en lisière de la forêt, à un kilomètre de notre point de
chute. L’endroit est magnifique, mais les sœurs sont catégoriques : non,
on ne peut pas dormir ici (tout le monde nous avait pourtant affirmé le
contraire, policiers compris). Les anciens dortoirs ont été détruits et elles
n’ont pas de place pour nous. Il est 17h30 et elles nous proposent sans
scrupules d’aller à pied jusqu’à un autre monastère (qui se trouve à une
vingtaine de kilomètres...).
Nous retournons vers le village et frappons aux
portes, mais personne n’accepte de nous donner un toit. Les habitants sont sur
leur réserve et je les comprends bien.
Nous faisons du stop jusqu’à Cornu Luncii, à 5 km. Notre
conducteur nous dit « ah ! vous allez à Fălticeni ?! J’ai
justement un collègue qui s’y rend ! ». Et d’appeler le collègue pour
qu’il nous prenne en passant. Je pense qu’il s’agit d’une sorte de taxi
parallèle, mais en tout cas le type est très sympa et nous dit que si on a des sous,
on peut lui en donner un peu, sinon, ce n’est pas bien grave. Il nous indique
une petite pension pas trop chère (une nuit = 80 lei pour deux, soit 20 euros).
Nous voilà à Fălticeni. Retour à la case départ. Je suis épuisée, pas tant par
la marche que par les rebondissements de la fin de journée. Il faut croire que
je ne suis pas tout à fait une guerrière. Je peux avancer tant qu’on veut mais
être dans l’incertitude d’un toit alors que la nuit tombe, ce n’est pas une
pure partie de plaisir. Gaël, fidèle à lui-même, est complètement serein.
C’est que je suis à moitié princesse, à moitié grenouille (vous
savez, les grenouilles que l’on embrasse pour en faire de belles jeunes femmes
aux boucles dorées ?). La transformation n’est pas totale, je suis entre
deux mondes. J’ai quelque chose de l’amphibien qui coasse au bord d’une mare et
se fout du grand luxe. Je tiens aussi de la princesse qui ne crache pas sur un
lit douillet ou sur une douche chaude (mais pour les boucles blondes, c’est
raté).
Je suis tellement épuisée que je m’endors en écoutant Thoreau
parler avec la voix de Gaël (je vais rêver de champ de haricots).
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