lundi 18 mars 2013

Samedi 16 mars : départ pour Gura Humorului



Comme je n’avais pas vu ‘les bons monastères’ durant mon premier voyage à pied (je cite les Roumains avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler), cette fois il n’est pas question de rater le coche. L. a d’ailleurs marqué d’une croix sur une carte de la région les endroits qui méritent un détour. À vrai dire, le périple que j’ai fait avec Christelle-Laure et Gaël suscite une vraie incompréhension : mais pourquoi marcher 7h par jour et atterrir dans un petit lieu perdu, inconnu de tous, sans la moindre petite relique à se mettre sous la dent ? L’idée de voyager en échappant aux circuits touristiques est aussi incongrue ici que celle de boire du lait sans lait (je parle du soja, vous l’aurez compris, je nourris une petite obsession). Quant au fait de ne pas savoir où on va passer la nuit, c’est au-delà du concevable.

Toujours est-il que ce week-end, en Bucovine, nous serons un peu moins hors des sentiers battus, ne serait-ce que parce que cela prend du temps et que nous en avons peu. J’ai aussi très envie de voir un monastère célèbre pour ses fresques et son bleu inimitable : Voroneţ.

J’ai rendez-vous avec mes nouvelles compagnes de route à 6h, devant la vieille gare. Je me suis levée à 4h30 pour prendre le temps de me rendre à la gare à pied, mais en buvant mon thé je me rappelle du dernier mail de ma globe-trotter préférée : « conseil d'une ex-routarde : prends le taxi la nuit. Plus prudent et en plus tu donnes du travail. »

Or à 5h en hiver il fait encore nuit : si c’est tata Choup qui l’a dit, je prendrai un taxi. J’ai une bonne intuition car le chauffeur est terriblement sympathique. Il est ravi d’apprendre que je vais voir des monastères, que j’en ai déjà vu, que je trouve la région magnifique. Presque triste il me demande (je traduis) : « vous direz tout ça en France, hein ? Que la Roumanie est un pays de travailleurs, qu’à la campagne et en ville on trime dur. Que l’économie n’est pas très en forme, mais que le pays est beau. » Il s’inquiète de la confusion que beaucoup de Français font entre Tsiganes et Roumains – c’est une crainte récurrente ici.

6h : le petit groupe est au complet. Exclusivement féminin, d’ailleurs : quatre étudiantes et une chienne. Nous formons un quintet international assez comique, vu de l’extérieur. Anni est une couchsurfeuse allemande qui fait une licence en psychologie et dont je me suis sentie immédiatement très proche. Peut-être parce que je me retrouve dans ses idées, ses envies et ses aspirations. Peut-être parce que ses boucles brunes me fascinent et qu’elle prépare du pain mieux que personne. Maddi, sa colocataire, vient du pays basque et suit des cours en arts plastiques. J’aime beaucoup son visage, pâle et rond comme une lune pleine. Elle a une coupe de cheveux complètement improbable qui me plaît aussi (j’apprendrai plus tard qu’elle s’occupe de ça toute seule, devant un miroir). J’ai eu l’occasion de voir des photos de quelques unes de ses toiles et c’est peu dire que je les trouve puissantes. Ses tableaux les plus sombres me rappellent Olivier de Sagazan, je ne suis pas sûre que tout un chacun aimerait les avoir dans son salon. [À la réflexion, son travail est très différent de celui de Sagazan, mais il est difficile parfois d’expliquer pourquoi un artiste nous en rappelle un autre. Je construis mentalement des familles : rien n’est plus personnel et arbitraire que ces rapprochements-là.]

Cecilia, que je rencontre aujourd’hui pour la première fois, est une belle personne. Elle a quelque chose de vagabond dans l’âme et dans l’allure. Ses habits, son sac, ses rêves sont rafistolés avec du fil et je crois qu’ils lui plaisent comme ça. Elle se promène avec un ukulélé dans le dos et se met à en jouer de temps en temps. Elle est un peu plus âgée que nous (28 ans je crois) et a vécu plusieurs années dans une communauté. On soupçonne en la voyant qu’elle a beaucoup vécu et peut-être un peu flirté avec la rugosité du monde ; j’aimerais qu’elle me raconte un jour son histoire. Quant à Donna [le mot donna signifie « femme » en italien], c’est le chien le plus sympathique que j’ai rencontré avec Daps. C’est aussi le seul qui a eu le droit de me lécher le bout du nez (à vrai dire, Donna s’est tout de suite octroyé ce droit et en a un peu abusé le dimanche matin, au réveil).


À 6h10 nous entrons in extremis dans le train. Direction : Gura Humorului.

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